L’hôtel de Jarnac un écrin parisien néoclassique

À la fin du XVIIIe siècle, Léonard Chapelle, promoteur immobilier, acquiert une parcelle d’un lotissement dans le faubourg Saint-Germain, considéré comme le «noble faubourg» à l’époque. Il y fait construire une maison de rapport en 1784, dont les plans sont confiés à l’architecte Étienne-François Legrand. Ce dernier imagine un enclos à toit plat dans un style néoclassique à colonnes ioniques, qualifié de «très pur» et «solide». Le premier locataire, le comte de Jarnac, un officier inspecteur de cavalerie des provinces de Poitou et de Saintonge, donnera son nom à l’hôtel. Lorsqu’il émigre en Irlande en 1791, l’adresse passe à différents occupants, une dizaine, dont le célèbre chirurgien Guillaume Dupuytren et, dans les années 1930, à la famille du chocolatier Menier. Depuis 1939, le lieu du 8, rue Monsieur, dans le 7e  arrondissement de Paris, est classé au titre des monuments historiques.

Une autre famille française – des « collectionneurspassionnés par les XVIIe et du XVIIIe siècles», précise le commissaire-priseur Charles Baboin-Jaubert – s’est employée pendant une cinquantaine d’années à organiser une séduisante harmonie de styles, y mêlant ses coups de cœur. Quelques objets scientifiques, des souvenirs historiques et des objets art nouveau côtoient ainsi les peintures et le mobilier. Pas moins de douze cabinets d’expertise ont d’ailleurs été sollicités pour estimer le contenu de l’hôtel comprenant plus de 200 numéros. Au fil des lots, grâce à des vues in situ reproduites dans le catalogue, on navigue du vestibule aux différents salons, de la bibliothèque à la salle à manger.

Honneur au XVIIIe
Deux études du XVIIIe  siècle, anonymes, dessinées au crayon noir d’après sculpture, donnent le ton, celui du charme et de la finesse (1 200/1 800 €). Rien de flamboyant ni de démonstratif, comme avec une précieuse paire de vases couverts en terre cuite (4 000/6 000 €) attribuée au sculpteur Félix Lecomte (1737-1817). Si l’artiste n’a pas eu de gloire posthume, il est très célèbre de son vivant. «Les vases sont dessinés dans la terre, en très bas relief, les figures ressortant à peine, c’est incisé autour des personnages d’une manière particulière dans laquelle on reconnaît la main de Lecomte», nous confirme Alexandre Lacroix, du cabinet d’expertise Sculpture & Collection. Ce type d’objets qui fit fureur dans les cabinets de curiosités est systématiquement décoré de motifs antiquisants – ici, un cortège bachique et une scène de sacrifice (voir page de droite). Le choix du mobilier d’époque, Louis XV et Louis XVI, s’accorde en grande partie avec le style néoclassique du bâtiment. Sans provenance prestigieuse, les tables, fauteuils de bureau et consoles, dont les estimations sont raisonnables, donnent une belle tenue à un ensemble homogène, avec des meubles parfois estampillés d’ébénistes répertoriés, tel Étienne Avril. Parmi les pièces remarquées : une table d’architecte dite «à la Tronchin» (le plateau à crémaillères s’incline) en acajou mouluré de Denis Louis Ancellet (2 000/3 000 €), de même que les grands lustres décoratifs en bronze doré à huit et douze bras datant du XIXe  siècle.

L’appel aux sens
Au mur ou sur chevalet, nourritures terrestres et sensualité s’invitent régulièrement, par exemple avec une rare nature morte aux fruits, huîtres et nautile signée Hendrick Van Streeck (voir page 42).

Plus connu pour ses intérieurs et perspectives d’églises, le peintre donne ici la mesure de son talent de composition et de son travail sur les textures, la lumière et les couleurs tout en dépassant leur simple représentation (30 000/50 000 €). Dans ce genre, le XVIIe français est magnifiquement représenté avec le désormais reconnu Jean-Michel Picard (1600-1682) et ses chatoyantes fleurs coupées sortant d’un fond sombre (voir page 43). Peintre franco-flamand, établi en France, il annonce l’évolution de la nature morte sous le règne de Louis XIV. Une rare présence en ventes publiques devrait attirer les amateurs (15 000/20 000 €). D’autres natures mortes du XVIIIe siècle italien ou français et du XXe  siècle avec un Michel Kikoïne (2 500/3 000 €) agrémentent les différentes pièces de l’hôtel, de même que des peintures du XIXe  siècle, dont une baigneuse attribuée à Degas réalisée selon la technique du monotype (5 000/6 000 €).

Entre sculptures et objets d’art
À la croisée de la sculpture et de l’objet d’art, outre les vases attribués à Félix Lecomte, on notera, de Gabriel Viardot (1830-1906), célèbre ébéniste parisien qui débuta comme sculpteur, un bureau plat avec un plateau à volutes surmonté d’un gradin ouvrant décoré dans le goût de l’Extrême-Orient (800/ 1 200 €), sa spécialité. De ce goût interprété, on préférera peut-être approcher l’original avec deux petites boîtes rondes chinoises, objets très recherchés des collectionneurs. La première, d’un diamètre de 11,5 cm date de la riche époque Yongle (1403-1424), troisième empereur de la dynastie Ming. Elle est en laque rouge à décor sculpté de fleurs d’hibiscus (voir ci-contre). La marque d’origine de Yongle a été recouverte par celle de Xuande, la période artistique suivante, une manière assez fréquente, détectable à la loupe, de s’approprier l’excellence des travaux antérieurs à cette époque. La seconde, plus petite (5, 5 cm), utilisée par des femmes comme boîte à encens, également en laque rouge, est sculptée en relief d’une fleur de camélia dans son feuillage. Les estimations (8 000 /12 000 € et 3 000/5 000 €) tiennent compte de leur petitesse et de leur état. CHRISTOPHE DORNY

VENDREDI 6 MAI, SALLE 5 - HÔTEL DROUOT.
AUDAP & ASSOCIÉS OVV.

EXPERTS : MMES FINAZ DE VILLAINE, MM. CAZENAVE, CHEVALIER, DAYOT, DEY, DE GOUVION-SAINT-CYR, EMERIC ET STEPHEN PORTIER, CABINETS SCULPTURE ET COLLECTION, MARCILHAC, MARÉCHAUX, DE BAYSER, TURQUIN, PORTIER ET ASSOCIÉS.