Altier Bien-Aimé

Le souverain suscita une abondante iconographie et à lire la description qu’en faisait l’historien Michel Antoine (1925-2015), on le comprend aisément. Il était, écrit-il dans son Louis XV (Fayard, 1989) «grand et fort, la taille cambrée et bien prise […] En 1737, il pesait 165 livres (soit environ 80 kilos) […], il se tenait droit et son port de tête lui donnait un air de grandeur incomparable». Pour fixer cette noble stature, Jean-Baptiste II Lemoyne (1704-1778) est mandé ; il devient son sculpteur attitré à partir de 1730 et réalisera un nombre conséquent de bustes, portraits et autres magistrales statues équestres. Manuela Finaz de Villaine, l’experte de la vente, précise qu’«il aurait fourni entre deux et trois représentations du roi par an entre 1732 et 1774». C’est l’une d’elles qui servit de modèle pour la réalisation en pâte tendre de Chantilly de ce buste, daté 1745. Il pourrait s’agir du modèle de 1737, dont un bronze plus tardif, conservé au Metropolitan Museum de New York, présente en effet une grande ressemblance des traits du visage et de la posture. Louis XV, tourné vers la gauche, est vêtu d’une armure et arbore le cordon de l’ordre du Saint-Esprit. Juste royal, il est enveloppé dans un drapé.

Une porcelaine qui fait date 1745 : une année qui a son importance.
Le roi, bien affaibli par son séjour en Lorraine pour inspecter ses troupes, en 1744, sur l’invitation de son beau-père Stanislas Leszczynski, reprend des forces à Versailles… et marche vers les Flandres pour participer, le 11 mai, à la bataille de Fontenoy, entrée dans l’Histoire grâce à cette phrase : «Messieurs les Anglais, tirez les premiers !» Cette victoire, un haut fait d’armes du maréchal de Saxe et un épisode de la Succession d’Autriche, lui apporte un regain de popularité. Il est donc logique de lui rendre hommage. 1745, c’est aussi une date qui compte pour la manufacture de Chantilly. En effet, une toute jeune concurrente, à Vincennes, obtient à son tour le privilège royal et l’autorisation, non négligeable, de fabriquer de la porcelaine à la façon de Saxe – et cette reconnaissance n’ira que croissant, grâce au soutien de la marquise de Pompadour. Le choc est rude pour Chantilly, les secrets de fabrication ayant été divulgués par deux transfuges, les frères Robert et Gilles Dubois. Menacée sur sa terre, elle se doit de réagir. Or, quelle manière plus éclatante de le faire qu’en réalisant l’effigie royale ? Il est judicieux de se rappeler au bon souvenir de Louis XV, protecteur depuis 1735 de la technique de fabrication par lettres patentes, et de lui offrir un gage de reconnaissance prouvant en même temps le degré de prouesse atteint. La porcelaine tendre est difficile à travailler, particulièrement en sculpture. Réaliser une telle pièce à l’allure si enlevée est une gageure. La manufacture, grâce aux sculpteurs de talent qui œuvrent dans ses ateliers – peut-être le porcelainier Cicaire Ciriou lui-même –, va la relever à nouveau au moins à quatre autres reprises. On lui doit un buste de 1745 au socle au lion (Boston, Museum of Fine Art), un autre, entre 1745 et 1750, sur une base à trophées guerriers (Minneapolis, The Minneapolis Institute of Arts), les deux derniers, vers 1750-1755, montrant les effets de l’âge sur le visage du souverain et un socle au cartouche couronné (Los Angeles, J. Paul Getty Museum ; Hartford, Pierpont Morgan Collection). À ce jour, la seule inconnue est de savoir où celui-ci ira se poser.  ANNE DORIDOU-HEIM

Céramiques
Mardi 10 mai, salle 4 - Hôtel Drouot.
Audap & Associés.
Mme Finaz de Villaine.