DEUX OEUVRES MAJEURES DE CRANACH ET GUARDI
Deux œuvres majeures seront présentées lors de la vente de
Tableaux Anciens organisée par
Audap et Associés le 6 novembre à Drouot. Ces pièces, de la main de deux des plus grands maîtres européens de leur époque, Lucas Cranach l'Ancien et Francesco Guardi, illustrent parfaitement l'excellence artistique de la Renaissance allemande et du XVIIIe siècle vénitien.
Par Lucas Cranach l'Ancien (1472-1553) et son atelier, ce portrait de 1525 de Frédéric III le Sage, électeur de Saxe de 1486 à sa mort en 1525, s'inscrit dans une tradition picturale étroitement liée à la cour de Saxe, où Cranach officia en tant que peintre officiel dès 1505. Frédéric III est resté dans l'histoire comme un prince éclairé et protecteur des arts. Grand humaniste et mécène, il est également connu pour avoir soutenu Martin Luther lors des premières heures de la Réforme, notamment en l'abritant au château de la Wartbourg après sa mise au ban par l'Église en 1521. Cranach, dont la carrière est intimement liée à la cour de Saxe, a exécuté plusieurs portraits de Frédéric, dont la version originale de ce buste, peinte en 1522.
Estimé 50 000 – 70 000 €, notre tableau, réalisé en 1525 et monogrammé par l’artiste lui-même, fait partie des répliques créées par Cranach et son atelier. Par exemple, ce portrait est proche des œuvres destinées aux dytiques commandés par Jean-Frédéric Ier, le neveu de Frédéric, lors de son accession au titre d’électeur en 1532, dont plusieurs versions sont aujourd’hui répertoriées dans des collections prestigieuses, telles que celles du musée du Louvre et du Château de Versailles.
Le professeur Dieter Koepplin, spécialiste renommé de l'œuvre de Cranach, a récemment confirmé le caractère autographe de cette peinture. Selon lui, elle constitue une variante d'une qualité exceptionnelle, probablement destinée aux amis de Frédéric III. Ce portrait, au-delà de sa valeur esthétique, s'inscrit donc dans un contexte historique et politique riche, où l'art servait à véhiculer l’image d’un prince éclairé.
La seconde œuvre est une vue de Venise, représentant l'île de San Giorgio Maggiore, peinte par le grand maître des vedute, Francesco Guardi, et datée des années 1775 (Estimation : 40 000 – 60 000 €). Guardi est l'un des derniers grands représentants de la tradition vénitienne des vues urbaines, popularisée par Canaletto, mais il se distingue par une approche plus poétique et atmosphérique de ses paysages, marquée par une touche vibrante et un intérêt pour les jeux de lumière.
Dans cette œuvre, Guardi choisit un format inhabituel, vertical, pour représenter l’emblématique monastère conçu par Andrea Palladio sur l'île de San Giorgio Maggiore. Le blanc éclatant de la façade en pierre d'Istrie se reflète dans l’eau calme du bassin de San Marco, tandis que des gondoles animent le premier plan. La lumière douce et la composition dynamique permettent d’apprécier pleinement l’art subtil de Guardi, qui maîtrisait l’art de capturer l’atmosphère changeante de Venise.
Ce tableau, mentionné dans le catalogue raisonné de Dario Succi, est l’un des rares formats verticaux de l’artiste, et il peut être rapproché de plusieurs versions conservées dans des institutions prestigieuses, telles que la Fondation Custodia à Paris ou la Fondation Bemberg à Toulouse. La version que nous présentons ici se distingue par l’absence du campanile, écroulé en 1774 et reconstruit peu après, ce qui situe l’œuvre dans la dernière période de création de Guardi.