De l’autre côté du miroir

La jeune beauté ajuste une dernière mèche de cheveux et observe son reflet dans le miroir. Est-elle satisfaite de l’image ainsi renvoyée ? Il semblerait que oui, à tenter de décrypter son imperceptible sourire. Autre motif de satisfaction, elle appartient à la série des Sept femmes se maquillant devant un miroir en pied, un nouvel album travaillé à partir de 1792 et dont elle est à ce jour la seule feuille identifiée… Les Beautés célèbres de Edo, Beautés en fleur du jour présent, Cinq couleurs d’encre du quartier noir, Dix leçons apprises des femmes sont parmi les titres des séries les plus connues de son auteur, le grand Utamaro, dont la quête artistique n’est cependant pas l’expression des sentiments. À une époque où la notion de portrait, du moins au sens de l’acceptation occidentale, n’existe pas dans l’art japonais, Utamaro suit le chemin tracé par Katsukawa Shunko, avec ses portraits d’acteurs de kabuki, et se concentre sur les pensionnaires féminines du quartier des plaisirs d’Edo. Son éditeur Tsutaya Juzaburo y habite et il vient s’installer chez lui. Là où Hokusai et Hiroshige, les deux autres grands maîtres de l’ukiyo-e, choisissent la beauté du mont Fuji et des vues d’Edo, il leur préfère celle des geishas. Au point que, redécouvert par Edmond de Goncourt, celui-ci le nomme « le peintre des maisons vertes ». Les estampes, appartenant à la série des Dix types d’études physiognomoniques de femmes, sont les premières de ce nouveau genre, avant qu’il n’en trouve le modèle appelé à devenir l’archétype de l’okubi-e : des jeunes femmes en gros plan pour un impact saisissant, ne montrant que la tête et les épaules. Pour magnifier leur beauté, il choisit un fond micacé et ses pigments avec un soin extrême. Ses portraits, accentués par sa virtuosité dans le traitement des cheveux d’un noir de jais dense – un défi pour l’imprimeur ! –, visent à la ressemblance. C’est ainsi que l’on peut ici reconnaître Okita, la célèbre pensionnaire de la maison de thé Naniwaya. En 1946, le cinéaste Kenji Mizoguchi a consacré un film à Utamaro. Cinq femmes autour d’Utamaro donne à voir le parcours de geishas, dont celui de la belle Okita. On y découvre qu’il en était amoureux mais qu’elle lui préféra le volage Shozaburo. De son vivant, son art a autant fasciné qu’il a suscité la répulsion. Victime de la censure shogunale en 1804 qui jugera son oeuvre subversive, il ne s’en remettra jamais vraiment. Aujourd’hui, on est juste saisi par la beauté, sans regarder de l’autre côté du miroir…

MERCREDI 16 OCTOBRE, SALLE 2 – HÔTEL DROUOT. AUDAP & ASSOCIÉS OVV. CABINET PORTIER & ASSOCIÉS.