Le paradis des oiseaux selon Tournemine

Bien malin qui saura dire dans quel pays se déroule cette scène lacustre. À vrai dire, sa vraisemblance est peu de chose en comparaison de sa qualité décorative. Jusqu’à présent connue uniquement par une photographie en noir et blanc conservée dans les archives de la famille de l’artiste, cette œuvre inédite est référencée dans le compte rendu du Salon de 1867. Cette année-là, Charles de Tournemine présente deux grandes toiles qui sont très remarquées par la critique. Alfred Nettement écrit ainsi dans La Semaine des familles : « Il ne fallait rien moins que la touche si délicate et si fine de M. Tournemine […] pour évoquer sur une toile cette solitude du nouveau monde peuplée de ravissants oiseaux […]. » Preuve de ce succès, l’empereur Napoléon III acquiert sur la liste civile le pendant de notre tableau, Éléphants d’Afrique, et en fait don au musée du Luxembourg. Après un passage par le Louvre et le Sénat, le tableau gagne finalement les cimaises du musée d’Orsay en 1983. Flamants et perroquets ne connut pas la même destinée puisqu’il passa par diverses collections privées jusque dans la famille des derniers propriétaires. Peintre des lointains, Tournemine était de ces orientalistes qui ont véritablement voyagé. Il parcourut la Méditerranée, du Liban à l’Égypte en passant par l’Asie Mineure et Chypre. De toutes ces pérégrinations, l’artiste ramènera de nombreux croquis pris sur le vif qu’il réemploie ensuite dans ses compositions finales. Le présent tableau est caractéristique du style de Tournemine, qui s’est passionné vers la fin de sa vie pour les animaux – il collectionnait les bronzes de Barye –, mais continua de s’intéresser aux effets de reflets et aux jeux de lumière immatériels. Si les flamants sont récurrents dans ces tableaux, les perroquets sont inédits. L’artiste s’inspire ici d’un épisode conté par le peintre et explorateur Paul Marcoy (1815-1888) dans son ouvrage Voyage à travers l’Amérique du Sud. Celui-ci y explique comment des troncs de jacaranda – arbre endémique de cette région – entraînés par les flots partent à la dérive et voyagent jusqu’à s’échouer sur un banc de sable où ils deviennent un refuge pour les oiseaux. Raison pour laquelle l’environnement de la toile évoque davantage les bords du Nil – familiers de l’artiste – que les rivages andins. Ainsi, l’Orient qu’il nous donne à voir n’est ni réaliste, ni ethnographique, mais évoque plutôt un paradis merveilleux porteur de promesses de mille et une beautés. Dans cet univers irréel, perroquets de toutes sortes et flamants se côtoient dans une parfaite harmonie, les premiers étant parfois aussi imposants que les seconds